Tout traumatisme (catastrophes naturelles, maladies, accidents, agressions…) bouleverse notre univers et nous oblige à porter un autre regard sur nous-même, les autres, la vie, nos objectifs, nos croyances ou nos projets.
C’est lorsque notre structure fondamentale est ébranlée que nous sommes le mieux placés pour saisir de nouvelles chances dans notre vie pour nous réorganiser, nous restructurer en profondeur, changer.
Tedeschi et Calhoun ont proposé le terme de croissance post-traumatique (Posttraumatic Growth, PTG; 1995, 2004) pour rendre compte des changements psychologiques positifs consécutifs à des événements de vie graves et difficiles.
La croissance post-traumatique peut permettre d’éviter ou de sortir d’un état de stress post-traumatique (ESPT), trouble anxieux qui fait suite à un événement ou à une expérience traumatique.
1. Définition
Croissance post-traumatique: décrit l’expérience des individus dont le développement a surpassé ce qu’ils étaient avant une phase de crise dans des domaines aussi variés que l’appréciation de la vie, l’intimité, la spiritualité ou le changement de valeurs (Kretsch et al., 2011).
La croissance post-traumatique consiste à grandir intérieurement suite à une expérience douloureuse.
Un épisode douloureux dans notre vie peut nous conduire à un mal-être temporaire, à des doutes sur nous-même ou sur notre vie, à de l’anxiété, de la tristesse (voir l’article sur l’état de stress post-traumatique), mais ce processus peut nous permettre d’effectuer un examen plus approfondi de qui nous sommes et ce que nous souhaitons: il peut conduire à un développement plus abouti de nous-même.
La croissance ou le développement post-traumatique se réfère aux changements positifs dans la vie des personnes suivant l’adversité (Kretsch et al., 2011).
Les personnes n’ont pas uniquement survécu à une situation mettant en jeu la question de leur propre survie, elles ont également fait l’expérience de changements intérieurs majeurs et positifs.
La croissance post-traumatique repose sur une remise en question des croyances fondamentales, des changements identitaires profonds et un réaménagement du système de valeurs qui permettraient l’assimilation et l’accommodation de l’événement traumatique (Horowitz, 1986).
D’après Tedeschi et Calhoun (1995, 2004), des changements positifs peuvent apparaître dans trois domaines:
- La vision de soi-même: les individus ont un sens renforcé de leur résilience, de leur sagesse et de leur force. Ils ont une plus grande acceptation de leur vulnérabilité et de leurs limites.
- Les relations sociales qui sont renforcées: les individus apprécient davantage leurs amis et leur famille, ils éprouvent une compassion et une gentillesse accrues envers autrui.
- La philosophie de vie qui évolue: les individus découvrent et apprécient chaque jour ce qu’est la vie et ce que représente vivre (pleine conscience).
La croissance post-traumatique se caractérise par la capacité d’un individu à mobiliser des ressources pour dépasser l’événement traumatique.
L’individu transforme sa perception de l’événement et se transforme lui-même de manière à remettre en question ses propres schémas fondateurs pour s’y adapter (Janoff-Bulman, 1992). L’individu transforme ses structures cognitives afin de s’adapter aux événements vécus, même les plus extrêmes.
Ainsi, pour Kretsch et al. (2011), « à travers un tel processus, la vie ne fait pas que se poursuivre, elle s’élabore, s’étoffe et grandit« . C’est pour cette raison qu’après un tel travail sur soi, l’individu considère souvent que l’événement vécu a été d’un apport indéniable et qu’il constitue un tournant dans sa vie.
2. Les facteurs de croissance post-traumatique
La croissance post-traumatique demande un effort. Elle nécessite de développer une réflexion délibérée sur ce qui nous est arrivé. Il s’agit de comprendre notre vécu dans l’épreuve, nos relations avec notre entourage et notre rapport à la vie: il s’agit de transformer la perception de l’événement, mais également notre vision de nous-même et de la vie.
Ce processus est douloureux mais il peut nous permettre de grandir.
Eviter les pensées et les émotions douloureuses nuit à la croissance post-traumatique car nous bloquons nos capacités d’exploration: on parle « d’évitement expérientiel« .
Pour accéder à la croissance post-traumatique, il faut démolir nos anciens systèmes de croyances afin de créer de nouvelles structures de sens et d’identité.
Ainsi, pour favoriser la croissance post-traumatique, il faut accroître notre « flexibilité psychologique ».
Flexibilité psychologique: capacité à être conscient de ses pensées et sentiments du moment présent, sans que cela empêche de poursuivre ses actions dans la poursuite de ses objectifs et de ses valeurs (Steven C. Hayes**).
Reprenant les travaux de Tedeschi et Calhoun (1995, 2004), Ben Mamou (2016) définit trois facteurs de croissance post-traumatique universels: la transformation personnelle, la transformation relationnelle et la transformation spirituelle.
Il existerait une dynamique importante entre ces trois facteurs : ils créeraient la croissance post-traumatique ensemble, en synergie.
Un quatrième facteur de croissance pourrait être rajouté: la croissance environnementale qui renverrait à une forme de conscience environnementale accrue.
1) La transformation personnelle
La transformation personnelle implique un changement dans la représentation et la perception de soi-même.
D’après Ben Mamou (2016), il s’agit essentiellement de découvrir ses forces ignorées: ses forces existantes et celles qui peuvent être développées.
Identifier ses forces, les reconnaître et les conscientiser permettrait de se sentir solide tout en facilitant l’acceptation de son état de vulnérabilité ponctuel.
Par ailleurs, identifier ses points faibles et les parties de soi à développer permettrait d’identifier les forces nouvelles à mobiliser pour maximiser sa croissance personnelle.
La croissance personnelle implique également d’accorder plus d’attention, de soin et de respect à son corps.
Articles à consulter :
- Développer son estime de soi
- Rebellez-vous! Se libérer des drivers
- Le lâcher prise
- Se libérer de la culpabilité
2) La transformation relationnelle
Tout traumatisme peut provoquer une « fissure du masque social » (notre image publique). Le traumatisme peut ainsi faire tomber certaines de nos conventions. Il peut nous permettre d’être plus authentique, plus directe et ainsi révéler notre véritable identité.
Nos relations peuvent ainsi être directement impactées: certaines relations peuvent être perturbées par cette soudaine authenticité, mais la plupart de nos relations peuvent se renforcer.
Ces transformations relationnelles peuvent redonner confiance dans la solidarité humaine, dans le soutien que l’on peut trouver dans l’épreuve. Elles peuvent également permettre de développer davantage notre propre compassion et notre altruisme envers la souffrance d’autrui.
Le partage social permet de favoriser le sentiment d’intégration sociale et d’appartenance sociale ce qui génère une humeur positive et renforce la confiance en soi (3ème besoin dans la pyramide de Maslow).
Par ailleurs, l’altruisme est un mécanisme de défense classé parmi les défenses matures, c’est à dire qu’il permettrait d’assurer une adaptation optimale aux facteurs de stress (niveau adaptatif élevé).
La gratitude, la solidarité et l’altruisme pourraient contribuer à développer une forme de résilience collective.
Résilience collective: capacité d’une communauté de continuer à vivre, fonctionner, se développer et s’épanouir après un traumatisme ou une catastrophe.
Articles à consulter :
3) La transformation spirituelle
Tout événement traumatique crée une rupture entre l’avant et l’après. Il pousse à se questionner sur les objectifs qui étaient envisageables avant l’événement mais qui perdent leur sens suite à son apparition.
La transformation spirituelle consiste à réfléchir sur le sens de sa vie et à apprécier la vie davantage.
Toucher de près le côté éphémère de la vie fait prendre conscience de la necessité de jouir de la vie et d’honorer la vie, instant après instant (pleine conscience).
Pour Ben Mamou (2016), « L’épreuve permet d’intégrer dans sa vie une vision plus vaste, une conscience élargit, du sens profond de la vie. Il s’agit de vivre, même dans les choses ordinaires du quotidien, l’extraordinaire, l’émerveillement« .
La confrontation à la mort, qu’elle soit réelle ou symbolique, permet parfois de se poser de véritables questions permettent de reconstruire une cohérence au sein de sa vie.
Articles à consulter :
4) La transformation environnementale
Les épreuves que nous traversons peuvent nous (re)connecter à notre humanité et nous rendre plus attentifs et généreux envers les autres mais également envers la planète.
Si les nombreuses crises environnementales de ces dernières décennies (marées noires, catastrophes nucléaires, nuages toxiques, catastrophes climatiques…) peuvent contribuer à une prise de conscience sur la fragilité des écosystèmes, un événement traumatique peut être à l’origine d’une sensibilisation aux problématiques environnementales.
Tout événement traumatique peut être une opportunité pour repenser notre vie et créer de nouvelles habitudes, aussi bien individuelles que collectives (nouvelle conception du monde, changement dans notre rapport au travail, modification de nos consommations, amélioration de notre hygiène de vie…).
L’écopsychologie est le champ de la psychologie qui s’intéresse à la relation entre les humains et la nature, elle s’appuie sur les travaux développés dans les domaines de la psychologie, de la philosophie, de l’écologie et de l’anthropologie. Cette discipline a été fondée par Roszak, historien, en 1992.
D’après l’écopsychologie, L’homme vit coupé de la nature, et tous les deux en souffrent: soigner la planète permettrait de se soigner soi-même, et inversement.
D’après Roszak (2002), il faudrait « considérer les besoins de la planète et ceux de la personne humaine comme un tout, et contribuer à nous reconnecter à la vérité de notre communion avec le reste de la création ».
Réduire notre empreinte écologique en modifiant nos pratiques quotidiennes permettrait de protéger notre environnement, mais cela contribuerait également à développer notre bien-être eudémonique, c’est à dire notre épanouissement à travers une vie qui a du sens.
En effet, la préservation de l’environnement peut nous permettre de :
- Nous décentrer de nous-même en nous donnant le sentiment de participer et de contribuer à quelque chose de plus vaste qui nous dépasse (prendre soin de la nature et de notre planète)
- Développer une forme d’altruisme vis-à-vis des générations futures, on parle d’altruisme intergénérationnel (préserver la planète pour les générations à venir)
- Augmenter notre estime de nous et le respect que nous nous accordons par le respect que nous accordons à notre planète et à la nature à laquelle nous appartenons (interdépendance entre la nature et nous)
Articles à consulter :
- L’impact de la pollution sur notre bien-être
- la consommation responsable
Conclusion: résilience et croissance post-traumatique
La croissance post-traumatique est à rapprocher de la notion de résilience***, qui renvoie à la capacité d’un individu à faire face à une situation difficile ou génératrice de stress et à récupérer son niveau de bien-être pré-crise (voir Werner et Smith, 1982; Bowlby, 1992; Cyrulnik, 1999).
Les capacités de résilience des individus seraient favorisées par des expériences constructives dans l’enfance notamment un milieu affectif sécurisant et un environnement soutenant (Cyrulnik, 2001).
Toutefois, la différence entre résilience et croissance post-traumatique serait le point de récupération: la croissance post-traumatique irait au-delà de la résilience.
En effet, la résilience serait la capacité de s’adapter à l’adversité tandis que la croissance post-traumatique consisterait à tirer des bénéfices de cette expérience en atteignant un fonctionnement psychologique supérieur à ce qui prévalait avant l’événement.
* Source : article Croissance post-traumatique : comment grandir dans l’adversité, Cerveau & Psycho, Publié le 28 avril 2020.
** La flexibilité psychologique constitue un concept central de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT, Acceptance and Commitment Therapy; Hayes, Strosahl, et Wilson, 1999).
*** Résilience : De l’anglais resilience qui vient du verbe latin resilio, ire: « sauter en arrière », d’où l’idée de « rebondir, résister » au choc, à la déformation.
SOURCES :
Bagot, C. Stress post-traumatique. Article publié sur le site docteurbagot.com.
Ben Mamou, C. (2016). Vidéos : Comment sortir du traumatisme?, Traumatisme: comment sortir grandi d’une épreuve?. Docteur en neurosciences. Site: https://www.cyrinne.com/
Bowlby, J. (1992). Continuité et discontinuité : vulnérabilité et résilience, Devenir, 4:7-31.
Cyrulnik, B. (1999). Un merveilleux malheur, Odile Jacob.
Cyrulnik, B. (2001). Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob.
Horowitz, M. J. (1986). Stress response syndrome (2 éd.). Northvale, NJ: Aronson.
Janoff-Bulman, R. (1992). Shattered assumptions: Toward a new psychology of trauma. New York: Free press.
Kretsch, M., Tarquinio, C. Joseph, S., Martin-Krumm, C. (2011). Psychologie Positive et développement/croissance post-traumatique : Changements positifs et bénéfices perçus suite aux événements de vie graves. Traité de Psychologie Positive : Fondements Théoriques et Implications Pratiques, De Boeck.
Manciaux, M. (2001). La résilience: Un regard qui fait vivre. Études, tome 395(10), 321-330.
Michelet, S. (2011). Ecopsychologie : la psy se met au vert. Article publié sur psychologies.com.
Roszak, T. (2002). The Voice of the earth, Phanes press.
Taubes, F. (2019). Résilience: comment ils s’en sortent, Interview de Boris Cyrulnik, site psychologies.com.
Tedeschi, R. G., Calhoun, L. G. (1995). Trauma and transformation: Growing in the aftermath of suffuring. CA: Sage: Thousand Oask.
Tedeschi, R. G., Calhoun, L. G. (2004). Posttraumatic Growth: Conceptual Foundations and Empirical Evidence. Psychological Inquiry, Vol. 15, No. 1 (2004), pp. 1-18.
Werner E., Smith, R. (1982). Vulnerable but Invincible: a longitudinal study of resilient children and youth. NY : Mac Graw Hill.