Biais cognitifs et influence sociale

Les « biais cognitifs » sont des distorsions dans le traitement de l’information. Ils sont souvent fondés sur des normes sociales et des stéréotypes et impactent notre jugement des événements, des autres et de nous-mêmes.

Le mot « cognitif » renvoie aux fonctions du cerveau qui permettent d’acquérir des connaissances sur l’environnement : la perception, l’attention, la mémoire, le langage, le raisonnement.

Les biais cognitifs sont des raccourcis de la pensée effectués par notre cerveau qui nous permettent d’évaluer rapidement une situation, mais qui peuvent parasiter notre perception de la réalité.

Les biais cognitifs peuvent nous conduire à :

  • Émettre des jugements erronés sur une situation, les autres ou nous-même
  • Prendre de mauvaises décisions sur la base d’une perception erronée de la réalité

Les biais cognitifs sont généralement inconscients. Pour les contrer, mieux vaux apprendre à les identifier : c’est l’objectif de cet article.

Cet article présente les biais cognitifs existants dans 3 domaines:

  • La perception de la réalité
  • Le raisonnement
  • La mémoire

Une 4e partie présente les liens entre biais cognitifs et bien-être psychologique.

1. Les biais perceptifs

La réalité est subjective : elle correspond à une interprétation et à une reconstruction personnelle de la réalité.

La plupart des difficultés de communication ne proviennent pas des faits eux-mêmes, mais de leurs interprétations (Abric, 1996).

Chaque personne tend à percevoir en priorité ce qui correspond à ses besoins, motivations ou intérêts.

Chaque individu possède sa propre grille de lecture qui rend sa perception de la réalité différente de celle des autres.

Le biais de négativité

Biais de négativité : c’est la tendance à accorder davantage d’attention et d’importance aux événements négatifs qu’aux événements positifs.

Exemples : tendance à accorder davantage d’importance aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes, aux échecs qu’aux succès, aux défauts d’une personne qu’à ses qualités, aux critiques qu’aux compliments etc…

Le « biais de négativité » serait un réflexe de conservation de l’espèce régi par une nécessité de vigilance permanente. Un excès d’optimisme serait perçu comme dangereux.

Ce biais entraîne de la frilosité dans nos décisions : la surestimation des conséquences négatives possibles d’une situation, d’un acte ou d’une décision nous conduit souvent à l’immobilisme (autant nous contenter de ce que nous avons).

Le biais de négativité a des conséquences dans notre jugement d’autrui. Susan Fiske (1980) a montré que les faiblesses d’un individu nous frappent davantage que ses qualités, même lorsque les deux sont équivalentes en nombre et en valeur. Nous jugeons alors les personnes en nous fondant principalement sur leurs traits négatifs. 

Le biais de négativité explique que les mauvaises impressions et les stéréotypes négatifs se forment plus rapidement et sont plus difficilement remis en question que les jugements positifs.

Enfin, ce biais explique pourquoi des événements ou comportements négatifs restent parfois imprimés longtemps dans notre mémoire, modifiant la perception que nous avons de nos proches ou de nous-mêmes.

Le biais de négativité impacte l’estime de soi et la confiance en autrui (stéréotypes, jugements).

Paul Rozin et Edward Royzman (2001) ont montré que le concept de négativité est plus élaboré et plus complexe que celui de positivité : nous utilisons un vocabulaire plus varié pour décrire le mal comparé au bien.

Enfin, Carstensen et Mikels (2005) ont montré que l’âge avançant, nous avons tendance à développer le biais inverse, c’est-à-dire à voir davantage le positif que le négatif. Cette inversion serait liée à une forme d’apprentissage de la vie : avec l’âge, nous apprenons qu’à force de voir « le mal partout », nous perdons de précieuses occasions, notamment d’être heureux, d’où l’importance de profiter de chaque chose agréable et positive de la vie.

Le biais de généralisation hâtive

Biais de généralisation hâtive : tendance à porter un jugement ou à identifier des schémas à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs.

Le biais de confirmation d’hypothèse

Biais de confirmation d’hypothèse : tendance à ne rechercher et à ne prendre en considération que les informations qui confirment nos croyances, et à ignorer ou diminuer l’importance de celles qui les contredisent.

Le biais de faux consensus

Biais de faux consensus : tendance à croire que les personnes dans la même situation que nous perçoivent, régissent, se conduisent, ressentent comme nous.

Le biais de cadrage

Biais de cadrage : c’est la tendance à être influencé par la façon dont un problème est présenté.

Il s’agit d’utiliser comme référence une seule information ou impression, généralement la première reçue. Cela nous empêche d’étudier les autres options. Nous sommes ainsi influencés par la façon dont un problème nous est présenté.

Par exemple : nous aurons davantage tendance à accepter une chirurgie qui nous est présentée en termes de taux de succès plutôt que de taux d’échec, même si les chiffres disent en réalité la même chose.

Solution pour éviter ce biais : recueillir sur un sujet donné le plus possible de « premières impressions » provenant de différentes personnes pour désactiver son propre ancrage.

2. Les biais dans le raisonnement

Nous n’avons pas toujours une vision claire de ce que nous voyons. Lorsque nous manquons d’informations, nous prolongeons la réalité (Abric, 1996).

Le sens que nous donnons à la réalité, l’interprétation que nous en faisons, dépend de nos désirs, de nos peurs, de nos besoins… et également du contexte dans lequel nous nous trouvons.

Les biais cognitifs proviennent souvent de notre désir de maintenir une image de soi positive, de nous conformer à la désirabilité sociale ou d’éviter d’être en dissonance cognitive (désaccord avec nous-même).

La norme d’internalité (ou erreur fondamentale d’attribution)

Nous avons tous besoins de sens et de cohérence. Nous recherchons en permanence des explications aux événements qui ont lieu dans notre environnement, nous en recherchons le sens et la logique.

L’attribution causale consiste à expliquer et identifier les causes responsables des événements ou des comportements, des autres et de nous-même, afin de mieux comprendre et prédire notre environnement.

En matière d’attribution causale, plusieurs chercheurs ont mis en évidence l’existence de la norme d’internalité (ou erreur fondamentale d’attribution).

La norme d’internalité : consiste à valoriser et surestimer les explications internes à l’individu (ses intentions, sa personnalité) au détriment des facteurs externes qui sont sous-estimés (environnement, influence des autres, chance).

L’hypothèse de l’existence d’une norme d’internalité a été formulée par Beauvois (1984) à la suite des travaux de Jellison et Green (1981).

Plusieurs recherches ont mis en évidence l’importance de la norme d’internalité dans le recrutement ou l’évaluation scolaire. Ainsi, il a été montré une préférence des recruteurs ou enseignants pour des candidats ou élèves évoquant des caractéristiques personnelles en termes d’efforts ou d’aptitudes pour expliquer leurs réussites ou leurs échecs comparativement aux candidats ou élèves évoquant le pouvoir d’autrui ou la chance. 

La croyance en un monde juste 

La croyance en un monde juste (CMJ ou hypothèse du monde juste :  tendance à penser que l’on obtient ce que l’on mérite (« la vertu est récompensée, le vice est punit »).

Ce biais cognitif a été décrit par le psychologue social Melvin J. Lerner (1980). D’après ce biais : on obtient ce qu’on mérite ou on mérite ce qu’on obtient.

L’escalade d’engagement

Le « biais d’escalade dans l’engagement » : consiste à persévérer dans une décision initiale même lorsque celle-ci est clairement remise en question par les faits.

L’escalade d’engagement conduit à persévérer dans l’erreur, à persévérer sur une voie qui ne convient manifestement pas, par refus de l’idée d’avoir perdu du temps et fourni des efforts pour rien.

L’escalade d’engagement a été mise en évidence par Staw (1976).

L’optimisme comparatif

L’optimisme comparatif : se considérer moins exposé à un événement négatif que d’autres personnes (surestimation de la contrôlabilité de l’événement).

Au quotidien, nous surestimation le contrôle que nous avons des évènements, et notamment le contrôle que nous avons sur notre santé.

L’optimisme comparatif permet d’expliquer le décalage qui existe entre la connaissance que nous avons des risques encourus et les comportements dangereux que nous persistons à adopter malgré ces risques (Kouabénan et al, 2007).

L’optimisme comparatif permet ainsi de comprendre la prise de risque en matière de santé physique (Weinstein, 1980), de risques routiers (McKenna, 1993) ou de santé mentale (Taylor &Brown, 1988).

L’optimisme comparatif est un déterminant du bien-être car il nous permet de ne pas nous focaliser sur les événements négatifs qui peuvent nous arriver en nous permettant de minimiser, voire d’oublier, leur probabilité d’apparition.

L’optimisme comparatif a initialement été nommé « l’optimisme irréaliste » par Weinstein (1980).

Le conformisme

Le « biais de conformisme » : tendance à se soumettre aux normes sociales du plus grand nombre, du milieu ou du groupe social auquel on appartient.

Ce biais renvoie à la tendance à privilégier la pensée collective, garante du groupe. Il traduit une véritable confiance dans les tendances évoquées par la majorité, perçues comme étant meilleures.

Le conformisme a été mis en évidence par Asch (1951).

La réactance

Le « biais de réactance » : réaction visant à maintenir notre liberté d’action vis-à-vis de ce que nous percevons comme une tentative d’influence à notre égard ou à une atteinte à notre liberté.

On parle de l’effet boomerang quand une tentative de persuasion a l’effet inverse de celui attendu et renforce les attitudes de la cible plutôt que de les modifier. Ce biais a été mis en évidence expérimentalement par Kiesler, Mathog, Pool & Howenstine (1971). 

La soumission à l’autorité

Le « biais d’autorité » : accepter de se comporter conformément aux demandes d’une autorité considérée comme légitime.

Ce biais incite à penser que la parole de la figure d’autorité (parent, enseignant, médecin, expert etc…) est infaillible et ne doit pas être remise en cause, même si on ne la comprend pas.

La soumission à l’autorité a été étudiée par Stanley Milgram (1974) dans une série d’expérience menée de 1960 à 1963.

Elle a également été étudiée par Zimbardo (2007) dans son expérience à l’Universté de Stanford en 1971.

Les effets Pygmalion et Golem

L’effet Pygmalion (ou effet Rosenthal & Jacobson) : prophétie autoréalisatrice qui provoque une amélioration des performances d’un individu en fonction du degré de croyance en sa réussite venant d’une autorité (parent, enseignant, entraîneur…) ou de son environnement.

Le simple fait de croire en la réussite de quelqu’un et de lui communiquer cette croyance améliore ainsi ses probabilités de succès.

L’effet Golem : c’est l’inverse de l’effet Pygmalion. Une personne peut conditionner un individu avec des attentes négatives provoquant une diminution de son estime de soi, de son sentiment d’efficacité personnelle et de sa performance.

L’effet Golem se traduit par de moins bonnes performances suite à un potentiel jugé comme limité par un parent, un professeur, une autorité.

L’influence de l’autorité sur l’évolution scolaire d’un élève est donc primordiale et partiellement indépendante de ses aptitudes. Les enseignants ont ainsi un rôle de premier plan dans la réussite des élèves, indépendamment de la qualité de leur enseignement.

Le biais d’autocomplaisance

Le biais d’autocomplaisance : tendance à s’attribuer le mérite de ses réussites et à attribuer ses échecs à des facteurs extérieurs défavorables.

Ce biais a été mis en évidence par Dale T. Miller et Lee Ross (1975).

Le biais rétrospectif

Le  biais rétrospectif : tendance à surestimer, une fois un événement survenu, le fait que l’événement aurait pu être anticipé car on le jugeait prévisible ou probable.

D’après Nassim Nicholas Taleb (2007), le biais rétrospectif est un mécanisme de déni du hasard :  sa fonction est de conforter les individus dans leur sentiment de contrôler l’incertitude.

3. Les biais mnésiques

L’effet de primauté

Effet de primauté : c’est la facilité à se rappeler les premières informations auxquelles on a été confronté.

C’est la tendance à mieux se souvenir des premiers éléments d’une liste de de mots que l’on doit mémoriser.

C’est Solomon Asch qui a mis en évidence l’effet de primauté dans les années 1940. Il s’agit d’un biais de mémoire car il affecte directement la capacité à se remémorer un souvenir en favorisant la première impression. Le cerveau accorde donc une plus grande importance aux premières informations reçues, qu’aux suivantes.

L’effet de récence

Effet de récence : facilité à se rappeler les dernières informations auxquelles on a été confronté.

L’effet de récence désigne la facilité à se rappeler les derniers éléments d’une liste de stimuli que l’on doit mémoriser.

L’effet de simple exposition

L’« effet de simple exposition » : C’est le sentiment positif ressenti envers quelqu’un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet.

Ainsi, avoir préalablement été exposé à quelqu’un ou à une situation le/la rend plus positive.

Ce biais est celui sur lequel s’appuie la publicité : à force d’être exposé à une image ou à une idée, on finit par s’y attacher et par l’intégrer naturellement dans notre univers comme premier choix par défaut.

L’effet de simple exposition  a été décrit par Robert Zajonc en 1968.

4. Biais cognitifs et bien-être psychologique

D’après le psychiatre américain Aaron T. Beck (spécialiste de la dépression et des TCC), certaines distorsions cognitives contribuent aux troubles émotionnels tels que la dépression ou l’anxiété car elles génèrent des pensées automatiques négatives.

Beck a identifié des distorsions cognitives dans trois domaines majeurs, appelé la triade de Beck :

  1. Les cognitions sur soi
  2. Les cognitions sur l’environnement (le monde et les autres)
  3. Les cognitions sur l’avenir

Selon Beck (1976), la surgénéralisation, les conclusions hâtives, la pensée dichotomique polarisée (« tout ou rien », « noir ou blanc ») entretiendraient des émotions négatives.

Beck évoque également la dramatisation ou la minimisation : il s’agit d’amplifier l’importance de ses erreurs et ses lacunes, ou au contraire, de minimiser ses points forts et ses réussites ou de considérer un événement heureux comme banal.

Enfin, Beck évoque la personnalisation : il s’agit de penser à tort être responsable d’événements fâcheux hors de son contrôle ou penser à tort que ce que les autres font est lié à soi.

Par la suite, le psychologue David Burns (1980) a identifié d’autres distorsions cognitives génératrices de mal-être telles que le raisonnemen émotionnel : il s’agit de considérer que des états émotionnels dans lesquels nous nous trouvons correspondent à la réalité.

Burns a également identifié les « fausses obligations » : il s’agit des attentes que l’on a à propos de ce que l’on devrait faire ou de ce que les autres devraient faire dans une situation sans examen du réalisme de ces attentes étant données les capacités et les ressources disponibles dans la situation.

Exemples : J’aurais dû obtenir ceci, Je ne dois pas tolérer cela, Tel événement n’aurait pas dû se produire…

Les fausses obligations sont une source importante de souffrance : elles génèrent de la culpabilité et des sentiments de frustration, de colère et de ressentiment.

SOURCES :

  • Abric, J-C. (1996). Psychologie de la communication. Paris. Armand Colin.
  • Asch, S.E. (1951). Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgments. In H. Guetzkow (ed.) Groups, leadership and men. Pittsburgh, PA: Carnegie Press.
  • Beauvois, J.-L. (1984). La psychologie quotidienne. Paris : PUF.
  • Beck, A. T. (2010). La thérapie cognitive et les troubles émotionnels. Traduction de B. Pascal de ″Cognitive Therapy and the Emotional Disorders″ (1976).
  • Burns, D. (1980). Feeling good : The new mood therapy. New York: New American Library
  • Carstensen, L. L., Mikels, J. A. (2005). At the intersection of emotion and cognition, aging and the positivity effect, Current Directions in Psychological Science, vol. 14, pp. 117-121.
  • Fiske, S. T. (1980). Attention and Weight in Person Perception: The Impact of Negative and Extreme Behavior, Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 38, No. 6, 889-906.
  • Jellison, J. M., & Green, J. (1981). A self-presentation approach to the fundamental attribution error: The norm of internality. Journal of Personality and Social Psychology, 40, 643-649.
  • Kiesler, C.A. Mathog, R., Pool, P., & Howenstine, R. (1971). Commitment and the boomerang effect: A field study. In C.A. Kiesler (Ed) The psychology of commitment: Experiments linking behaviour to belief. New York : Academic Press.
  • Kouabénan, D., Cadet, B., Hermand, D. & Muñoz Sastre, M. (2007). Chapitre 7. L’optimisme comparatif comme biais dans la perception des risques: illusion ou réalisme?. Dans : Dongo Rémi Kouabénan éd., Psychologie du risque (pp. 91-99). Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur.
  • Lerner, M.J. (1980), « The belief in a just world : a fundamental delusion », New-York, Plenum Press.
  • Milgram, S. (1974). La Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 2ème édition.
  • Miller, D. T., Ross, M. (1975). Self-serving biases in the attribution of causality. Fact or fiction ? Psychological Bulletin, 82, 213-225.
  • Ovadia, D. (2018). Pourquoi ne voit-on que le négatif? Cerveau & Psycho, n°101, juillet-août 2018.
  • Pages, R. (1969). La perception d’autrui, in P. Fraisse & J. Piaget: Traité de psychologie expérimentale, tome 9, Psychologie sociale, p. 102. PUF.
  • Reuchlin, M. (2000). Psychologie. PUF.
  • Rozin, P., Royzman, E. B. (2001). Negativity bias, negativity dominance, and contagion. Personality and Social Psychology Review, vol. 5, pp.296-320, 2001.
  • Staw, M. B. (1976). Knee-deep in the big muddy: a study of escalating commitment to a chosen course of action, Organizational Behavior and Human Performancevol. 16, no 1, p. 27–44.
  • Taleb, N. (2007). Le Cygne Noir : la puissance de l’imprévisible. Edition Les belles lettres.
  • Weinstein, N. D. (1980). Unrealistic optimism about future life events. Journal of Personality and Social Psychology, 39, 5, 806-820.
  • Zimbardo, P. (2007). The Lucifer effect: understanding how good people turn evil, Random House.

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