Les effets Pygmalion et Golem

Dans toutes nos relations, nous avons besoin de comprendre « l’autre » afin de pouvoir prédire et expliquer ses comportements. Pour cela, nous nous formons une impression à son sujet.

Les impressions, croyances, perceptions ou attentes que nous avons à l’égard d’une personne peuvent orienter nos pensées et nos comportements envers elle, et en retour, elles peuvent influencer les pensées et comportements de cette personne (Trouilloud et Sarrazin, 2003).

C’est ce que l’on appelle une prophétie autoréalisatrice: une croyance erronée qui conduit à sa réalisation.

Prophétie autoréalisatrice: « c’est une définition d’abord erronée d’une situation qui suscite un nouveau comportement qui rend exacte cette conception initialement fausse » (Merton, 1948).

Les effets Pygmalion et Golem sont des prophéties autoréalisatrices identifiées dans le domaine scolaire. Elles mettent en évidence le rôle joué par les attentes des enseignants sur la réussite ou l’échec scolaire des élèves (Rosenthal et Jacobson, 1968).

Dans une première partie sont définis les effets Pygmalion et Golem. Les parties 2 et 3 présentent des expériences illustrant ces phénomènes.

1. Définitions

Les attentes positives (effet pygmalion) ou négatives (effet Golem) d’un enseignant concernant les capacités d’un élève se traduisent par une modification du comportement de l’enseignant à son égard. Le comportement de l’enseignant va alors impacter le comportement de l’élève, et donc, sa performance.

Effet Pygmalion* (également appelé effet Rosenthal) : prophétie autoréalisatrice qui met en évidence les effets des croyances positives des enseignants sur les évolutions scolaires des élèves (Rosenthal et Jacobson, 1968).

*Pygmalion : Dans la mythologie grecque, Pygmalion est un sculpteur qui tomba amoureux de sa création, Galatée, une statue rendue vivante grâce à Aphrodite, la déesse de l’amour.

L’effet Pygmalion consiste en l’amélioration des performances d’un individu en fonction du degré de croyance en sa réussite venant d’une autorité (parent, enseignant, entraîneur…) ou de son environnement.

Ainsi, le simple fait de croire en la réussite de quelqu’un et de lui communiquer cette croyance améliore ses probabilités de succès.

A l’inverse, l’effet Golem consiste à conditionner un individu avec des attentes négatives provoquant une diminution de son estime de soi, de son sentiment d’efficacité personnelle et de sa performance.

Effet Golem** : prophétie autoréalisatrice qui met en évidence les effets des croyances négatives des enseignants sur les évolutions scolaires des élèves (Babad, Inbar & Rosenthal, 1982).

**Golem : Dans la mythologie juive, un golem est un être inachevé, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d’assister ou défendre son créateur.

L’effet Golem montre qu’un potentiel jugé comme limité par un parent, un professeur, une autorité peut conduire à de moins bonnes performances.

Les croyances et les attentes des enseignants vis-à-vis des élèves proviennent généralement:

  • Des performances antérieures des élèves : résultats scolaires antérieurs (notes, moyennes), commentaires des enseignants des classes précédentes, résultats aux tests d’aptitudes
  • Des performances réalisées lors des premiers contrôles
  • De leur attitude en classe
  • De l’attention, du soin apporté au travail
  • De l’autonomie, de la facilité à travailler en groupe
  • De la motivation et des efforts fournis

Malheureusement, des recherches ont montré que les attentes des enseignants peuvent également être influencées par des stéréotypes (performances des frères et sœurs, genre, attractivité physique, origine ethnique, origine sociale des élèves; pour une revue de littérature voir Dusek et Joseph, 1983).

D’après Snyder et Stukas (1999), les attentes des enseignants peuvent être:

  1. Positives ou négatives
  2. Propres à un élève ou communes à un groupe d’élèves/une classe entière
  3. Relatives aux compétences et performances de l’élève ou à certaines de ses caractéristiques (exemple: travailleur /fainéant ; autonome /dépendant ; sympathique /antipathique ; sociable /associable)
  4. Circonscrites à un domaine (exemple: performance future en mathématiques) ou portant sur des dispositions générales (exemple: possession de dons, d’aptitudes ; niveau de quotient intellectuel).

Les attentes d’un enseignant concernant les capacités d’un élève se traduisent par une modification du comportement de l’enseignant à son égard dans quatre aspects de l’interaction élèves-enseignants (Théorie des quatre facteurs; Rosenthal, 1974).

Les quatre aspects de l’interaction élèves-enseignants sont:

  • Le climat socio-émotionnel des interactions verbales et non verbales crée par l’enseignant (sourire, regard, écoute, échanges)
  • Le contenu pédagogique et le mode de présentation des tâches d’apprentissage (diversification, structuration, niveau de difficulté, exigences, temps passé)
  • Les sollicitations et opportunités offertes par l’enseignant pour s’exprimer (temps et attention accordés à l’élève)
  • Les réactions de l’enseignant aux prestations des élèves (feedback, qualité des renforcements (punitions versus récompenses) qu’il lui administre)

Ainsi par exemple, plusieurs recherches listées par Trouilloud et Sarrazin (2003) ont montré que :

  • Avec les élèves qu’ils jugent plus faibles – Effet Golem: les enseignants acquiescent moins souvent et ont une intonation de voix moins chaleureuse et plus anxiogène. Ils se maintiennent à une distance plus importante, ils leur sourient et les regardent moins dans les yeux. Ils les soutiennent moins lors de leur prise de parole et ils les interrogent moins. Ces élèves sont plus souvent critiqués pour leurs erreurs, notamment le comportement en classe, et moins récompensés pour leurs succès (omission de feedbacks).
  • Avec les élèves qu’ils jugent « bons » – Effet Pygmalion: les enseignants persistent davantage en leur fournissant plus d’indices pour trouver une solution à un problème, les questions sont davantage reformulées et ces élèves disposent de plus de temps pour répondre. Les feedback positifs sont plus nombreux, plus précis et centrés sur la performance. Les enseignants mettent en place un climat plus chaleureux et plus rassurant avec ces élèves.

Le traitement préférentiel des enseignants envers les élèves bénéficiant d’attentes élevées s’expliquerait par leur plus grande proximité/similarité éprouvée vis-à-vis des bons élèves (les enseignants disent partager leurs valeurs de travail et l’importance de la réussite scolaire) et par le côté
gratifiant d’enseigner à de tels élèves.

Le comportement des enseignants serait renforcé par leurs biais perceptifs: les enseignants utiliseraient leurs attentes comme des filtres interprétatifs conduisant à des distorsions de la réalité lorsqu’ils perçoivent et évaluent les actions des élèves.

Exemples : ils accorderaient plus de crédit aux informations qui confirment leurs attentes et minimiseraient celles qui ne les confirment pas; ils auraient tendance à sur-noter les élèves pour lesquels ils émettent des attentes élevées d’effort (biais de négativité, biais de confirmation d’hypothèse, biais de généralisation hâtive…; voir l’article sur les biais cognitifs).

Ainsi, les attentes des l’enseignants influencent la réussite scolaire des élèves, que ce soit:

  • Objectivement lorsque ces attentes changent le comportement réel des élèves
  • Subjectivement lorsque les biais perceptifs des enseignants influencent leurs évaluations des élèves.

Rosenthal et Jacobson ont découvert les effets Pygmalion et Golem en réalisant les expériences présentées dans leur livre « Pygmalion à l’école » (1968) résumées dans les deux parties suivantes.

2. l’expérience sur les rats

Rosenthal et Jacobson (1968) ont expliqué à des étudiants que pour les besoins d’une expérience, il avait sélectionné deux populations de rats : des rats d’une lignée très intelligente et des rats « classiques ». Il s’agissait de tester la capacité des rats à traverser un labyrinthe. Les étudiants avaient pour mission d’entraîner les rats à traverser ce labyrinthe. 

Après avoir constitué deux échantillons de rats totalement au hasard, Rosenthal a demandé à un groupe de six étudiants d’entrainer les rats du premier groupe constitué de 6 rats « intelligents ». Il fallait donc s’attendre à des résultats exceptionnels de la part de ces animaux. 

Rosenthal a demandé à un groupe de six autres étudiants d’entrainer les rats du groupe 2 qui n’avaient rien d’exceptionnels et qui, pour des causes génétiques, seraient probablement des rats qui auraient du mal à trouver leur chemin dans le labyrinthe.

Les résultats confirment très largement les prédictions fantaisistes effectuées par Rosenthal : Les rats du groupe 1 sont plus rapides à sortir du labyrinthe que les rats du groupe 2. Certains rats du groupe n° 2 n’ont même pas quitté la ligne de départ.

Après analyse, il s’avère que les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient particulièrement intelligents, leur ont manifesté de la sympathie, de l’attention, de l’empathie, de l’affection ; inversement, les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient stupides ne les ont pas entourés d’autant d’attention et d’affection.

3. Les expériences à l’école

Deux types d’études ont été conduites sur l’effet Pygmalion à l’école:

  1. Les premières ont consisté à induire des attentes chez les enseignants en leur fournissant des informations erronées sur les élèves (expérience de Rosenthal et Jacobson, 1968).
  2. Les secondes ont consisté à utiliser les attentes naturellement établies par les enseignants dans leur salle de classe (expérience de Rist, 1970).

L’expérience de Rosenthal et Jacobson (1968)

Dans cette étude, Rosenthal et Jacobson ont fait croire à des enseignants d’une école (Oak School) que certains élèves de leur classe avaient une forte probabilité de faire des progrès importants durant l’année (les élèves « prometteurs »).

Tous les enfants de Oak School furent pré-testés avec un test standard non verbal d’intelligence. Ce test fut présenté aux enseignants comme étant susceptible de prédire « l’épanouissement » scolaire ou « le démarrage » intellectuel des élèves. Le test de QI (quotient intellectuel) employé donnait trois scores de QI : un QI total, un QI verbal et un QI de raisonnement. Environ 20% des enfants de Oak School étaient présentés comme des élèves « prometteurs ». En réalité, pour chaque classe, les noms de ces enfants avaient été tirés au sort. La différence entre les enfants des deux groupes n’existait ainsi que dans l’esprit du maître. 

Pourtant, à la fin de l’année scolaire, le quotient intellectuel des élèves « prometteurs » était plus élevé que celui des autres enfants. Autrement dit, en progressant au niveau de leur QI, ils avaient confirmé les fortes espérances placées en eux. La prophétie s’est accomplie, et a été dénommée par les auteurs « effet Pygmalion ».

L’expérience de Rist (1970)

Rist (1970) a fournit un exemple de la façon dont la dynamique des prophéties autoréalisatrices peut façonner la vie des élèves.

Rist a observé pendant 3 ans le comportement des instituteurs et la trajectoire scolaire d’enfants de ghettos américains âgés de 5 ans. Il
conclut que le destin de certains enfants était déterminé et scellé dès les 8 premiers jours d’école maternelle. Au bout d’une semaine de cours, l’instituteur avait « déjà » identifié les élèves rapides et les élèves lents, et les avait assignés à des tables de travail différentes ; les plus rapides au premier rang, et les autres derrière (d’après Trouilloud et Sarrazin, 2003).

Cette répartition dans la salle entraîna un manque d’intérêt et de l’agitation dans les rangs les plus éloignés. Ainsi, quand l’enseignant s’occupait des élèves les plus lents, c’était le plus souvent pour leur adresser des réprimandes.

Cette dépréciation par l’enseignant des élèves des rangs éloignés a été rapidement perçue par ceux du premier rang, qui ne manquaient pas de les ridiculiser (Je suis plus intelligent que toi, Tu es stupide, la question était facile). Progressivement, les élèves lents ont intériorisé l’image que l’enseignant leur renvoyait et ont commencé à se blâmer et à manifester un retrait pour les tâches scolaires.

Conformément aux attentes des enseignants, les élèves « lents » obtinrent des résultats modestes et évoluèrent peu. Dans les deux années qui suivirent (équivalent du CP et du CE1), les enfants furent répartis dans de nouveaux groupes de travail mais aucun élève des 2e et 3e rangs n’a été affecté dans le groupe des « bons » lecteurs et aucun élève du premier rang n’a été placé dans les groupes des lecteurs « moyens » ou « faibles ».

4. Conclusion

Dès l’école élémentaire, les élèves sont conscients du traitement différencié de leurs enseignants. Ils perçoivent des différences dans leurs feedbacks et leurs attitudes (messages verbaux et non-verbaux). Les élèves qui font l’objet « d’attentes faibles » estiment recevoir plus de retours négatifs. Ils déplorent disposer de moins d’autonomie et recevoir moins de soutien affectif de la part de leurs enseignants.

La perception des attentes et croyances des enseignants a un impact sur l’élève sur:

  • Sa façon de se percevoir, notamment son concept de soi scolaire
  • Ses performances scolaires et ses capacités intellectuelles (QI)
  • Sa motivation, notamment sa motivation intrinsèque (plaisir et satisfaction à apprendre indépendamment du résultat)
  • Son estime de soi et sa confiance en soi.

En effet, les sollicitations plus fréquentes, les feedback positifs, ou l’obtention de notes élevées améliorent le concept de soi scolaire (compétence perçue dans le domaine scolaire), le sentiment d’efficacité personnelle ou l’estime de soi des élèves (Trouilloud et Sarrazin, 2003).

Plusieurs études ont montré que les attentes des enseignants en début d’année prédisaient significativement les propres attentes de performance des élèves ou leur concept de soi scolaire en fin d’année.

L’intensité des effets Pygmalion et Golem peut être modulé par les caractéristiques des enseignants, des élèves et du contexte d’enseignement:

  • Les enseignants les plus enclins à développer des attentes rigides et stables à propos de leurs élèves sont les enseignants « dogmatiques, autoritaires, ou sensibles aux préjugés » et qui conçoivent l’intelligence comme une entité stable et globale peu amenée à évoluer (Trouilloud et Sarrazin, 2003). A l’inverse, les enseignants qui ont un fort sentiment d’efficacité personnelle, notamment dans leur capacité à enseigner, ont des attentes plus flexibles.
  • La vulnérabilité des élèves aux attentes négatives de leurs enseignants semble dépendre de certaines caractéristiques socio-démographiques telles que l’âge (sensibilité des élèves les plus jeunes car leur concept de soi scolaire est peu clair et incertain), l’origine ethnique ou sociale (stéréotypes et importance accordée à la parole de l’enseignant) ou les antécédents scolaires (étiquette de « mauvais élève » difficile à changer). Mais de manière symétrique, ces élèves – plus que les autres – peuvent trouver particulièrement stimulant un enseignant qui aurait des attentes élevées à leur égard (Trouilloud et Sarrazin, 2003).
  • Les élèves sont davantage sensibles aux effets Pygmalion et Golem lorsqu’ils sont dans un environnement qu’ils ne connaissent pas ou mal. Exemple : entrée dans un nouveau cycle de scolarité (exemple: primaire, collège, lycée, université), changement d’établissement. Ces périodes de transition et de changement sont souvent accompagnées de doutes quant aux capacités personnelles ce qui rend l’élève sensible et vulnérable aux attentes et croyances des enseignants. La taille de la classe (effectif trop important) peut conduire l’enseignant à recourir à des raccourcis cognitifs. Enfin, les matières ou dispositifs nécessitant la constitution de groupes en fonction du niveaux sont susceptibles d’accentuer les effets Pygmalion et Golem.

Ainsi, ces études sur les effets pygmalion et Golem peuvent et doivent nous conduire à réfléchir et nous interroger sur:

  • Nos stéréotypes et préjugés en tant qu’enseignant(e), pédagogue, parent, manager afin de s’en libérer pour ne pas les transmettre et/ou générer des inégalités.
  • La place qu’occupe les perceptions, croyances ou attentes des autres sur qui nous sommes ou qui nous croyons être afin de nous en libérer.

SOURCES

  • Babad, E. Y., Inbar, J., & Rosenthal, R. (1982). Pygmalion, Galatea, and the Golem: Investigations of biased and unbiased teachers. Journal of Educational Psychology, 74(4), 459–474.
  • Dusek, J.B., Joseph, G. (1983). The bases of teacher expectancies : A meta-analysis. Journal of Educational Psychology, 75, 327-346.
  • Huguet, S. Labridy, F. (2004). Approche psychanalytique de la relation entraîneur-entraîné : le sport comme prétexte de la rencontre. Movement & Sport Sciences, no 52. 
  • Levêque, M. (2012). Chapitre 5. Approche clinique de la relation entraîneur-entraîné. In Psychologie du sport et de la performance, pages 153-166. Bruxelles : Editions De Boeck. 
  • Merton, R. (1948). – The self-fulfilling prophecy. Antioch Review, 8, 193-210.
  • Morchain, P., Schadron, G. (2001). Devenir ce que je crois que vous croyez de moi. Un effet de confirmation comportementale de l’image que l’on croit avoir auprès de l’interlocuteur. Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 50, 27-41.
  • Rosenthal, R. (1974). – On the social psychology of the self-fulfilling prophecy: Further evidence for Pygmalion effects and their mediating mechanisms. New York : MSS Modular Publications.
  • Rosenthal, R. (1974). On the social psychology of the self-fulfilling prophecy : Further evidence for Pygmalion effects and their mediating mechanisms. New York : MSS Modular Publications.
  • Rosenthal, R., Jacobson, L. (1968). Pygmalion in the classroom: Teacher expectation and student intellectual development. New York: Holt, Rinehart et Winston.
  • Snyder, M., Stukas, A. A. (1999). Interpersonal processes: The interplay of cognitive, motivational, and behavioral activities in social interaction. Annual Review of Psychology, 50, 273-303.
  • Trouilloud, D., Sarrazin, P. (2003). Les connaissances actuelles sur l’effet Pygmalion: processus, poids et modulateurs. Revue Française de Pédagogie, n° 145, octobre-novembre-décembre 2003, 89-119

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