Les théories de l’engagement

Les recherches dans le domaine de la manipulation et de la soumission librement consentie s’appuient sur la notion d’engagement (Kiesler, 1971; Joule et Beauvois, 1987) : les individus s’engagent dans un comportement dont ils auront du mal à s’extraire, même en cas d’échec ou d’erreur. Dans ce cas, on parle d’auto-manipulation, puisque l’individu s’engage et s’enferme lui-même dans un comportement.

Les théories de d’engagement consistent à amener un individu à modifier ses comportements sans recourir à l’autorité ni à des stratégies persuasives.

Le pouvoir de ces principes d’influence est utilisé pour suggérer un achat, un don, un vote, un consentement… Chaque principe possède une capacité particulière à provoquer un consentement automatique c’est à dire à amener les gens à dire oui sans réfléchir préalablement.

L’influence sociale repose ici sur une pression sociale qui agit de manière implicite car l’individu est placé dans une situation lui donnant un sentiment de libre choix.

Ce sentiment de liberté d’action est au cœur des techniques de manipulation : l’individu doit avoir la sensation qu’il décide et qu’il agit en dehors de toute contrainte, et ce bien qu’il émette des conduites qui n’auraient pas été les siennes spontanément.

On appelle « escalade d’engagement » la tendance qu’ont les individus à persévérer dans leur décision initiale, même lorsque celle-ci est clairement remise en question par les faits. L’escalade d’engagement est abordée dans la première partie de cet article.

Trois techniques de manipulation reposent sur l’escalade d’engagement: l’amorçage, le pied-dans-la-porte et la porte-au-nez. Ces techniques sont abordées dans les parties 2, 3 et 4 (Sources : Cialdini, 1990 et Joule & Beauvois, 1987; 1998).

1. L’escalade d’engagement

L’escalade d’engagement: consiste à persévérer dans une décision initiale même lorsque celle-ci est clairement remise en question par les faits.

L’escalade d’engagement a été mise en évidence par Staw (1976).

L’escalade d’engagement conduit à persévérer dans l’erreur, à persévérer sur une voie qui ne convient manifestement pas, par refus de l’idée d’avoir perdu du temps ou d’avoir fourni des efforts pour rien (persévération).

Un acte est engageant seulement s’il est produit dans un contexte de libre choix. En effet, la simple évocation du sentiment de liberté par l’expérimentateur : « vous êtes libre de … », amène davantage les personnes à accepter un acte.

Par ailleurs, un acte est plus engageant :

  • s’il est produit en public (versus privé)
  • s’il est répété (versus unique)
  • s’il est coûteux (versus peu coûteux)
  • S’il est irréversible (versus réversible)

Le phénomène d’escalade d’engagement relève de l’auto-manipulation : l’individu se manipule lui-même en prenant de nouvelles décisions conformes à une première décision qu’il a prise.

2. L’amorçage

Définition : l’amorçage est une technique consistant à faire prendre une décision à l’individu, soit sur la base d’avantages fictifs, soit sur la base d’inconvénients cachés.

Illustration du principe (Cialdini, 1990) : Une fois qu’un client a pris une décision d’achat sur la base d’avantages fictifs ou d’inconvénients cachés, le vendeur révèle à l’acheteur les conditions réelles de son achat, et le déclare libre de revenir sur sa première décision. Généralement, le client ne revient pas sur sa première décision car il est engagé dans son comportement d’achat.

3. Le pied-dans-la-porte

Définition : Technique qui consiste à obtenir de quelqu’un qu’il émette un comportement non problématique et très peu coûteux (comportement préparatoire) dans le but d’obtenir par la suite un comportement plus coûteux (comportement attendu).

Principe : demander peu pour obtenir plus.

Illustration par l’expérience de Freedman et Fraser, 1966 : ces chercheurs ont amené 76 % des ménagères interrogées (contre 16,7 % en demande directe) à accepter de poser dans leur jardin un panneau publicitaire incitant les automobilistes à la prudence, après avoir obtenu d’elles un petit comportement allant dans le même sens : coller un autocollant sur leur voiture.

L’effet du pied-dans-la-porte traduit, comme l’effet d’amorçage, un effet de persévération : les sujets engagés dans un premier comportement librement décidé acceptent plus facilement une requête ultérieure allant dans le même sens mais plus coûteuse.

Conditions d’obtention des effets de pied-dans-la-porte :  

  1. Le comportement préparatoire doit être peu coûteux. Il doit être moins coûteux que le comportement attendu.
  1. Le délai espaçant les deux requêtes doit être au maximum de 7 à 10 jours. Il faut que l’individu sollicité puisse établir un lien entre les deux requêtes.
  1. Il n’est pas nécessaire que ce soit la même personne qui formule les deux requêtes. Puisque l’individu est engagé dans ses actes et non vis-à-vis d’une personne particulière.
  1. la réalisation effective du premier comportement n’est pas nécessaire, une simple acceptation suffit.
  1. Il vaut mieux que les deux comportements soient similaires même s’il suffit parfois qu’ils renvoient au même registre (exemple : registre des comportements d’aide).

4. La porte-au-nez

C’est l’inverse du pied-dans-la-porte.

Définition : il s’agit de faire une requête coûteuse, si coûteuse qu’elle sera refusée. Le refus facilitera par la suite l’obtention d’un comportement raisonnablement coûteux (comportement attendu).

Illustration du principe : il s’agit de demander à quelqu’un qu’il nous rende d’abord un service très important, trop important pour qu’il accepte, puis d’en solliciter un second dont le coût est moindre : ce dernier service sera accordé.

Conditions d’obtention des effets de porte-au-nez :

  1. La requête initiale doit être suffisamment coûteuse pour être refusée par 100% des gens.
  1. Les deux requêtes doivent être similaires, c’est-à-dire porter sur le même type de services. Il vaut mieux qu’elles ne varient que par leur coût.
  1. Le délai séparant les deux requêtes doit être le plus bref possible : inférieur à une journée. L’idéal serait en fait que les deux requêtes soient formulées dans le cadre d’une même interaction, et donc par la même personne.

Conclusion

D’autres formes de manipulation existent (pour une description détaillée, voir Joule et Beauvois, 1987). Citons par exemple :

  •  L’étiquetage : il s’agit d’associer une « étiquette » à un individu, celui-ci se conduira dans le sens de l’étiquette attribuée. Exemple : dire à quelqu’un qu’il est généreux augmentera les chances qu’il adopte un comportement altruiste (don, aide).

  •  Le toucher : toucher l’avant-bras de son interlocuteur augmente les chances de le voir accéder à la requête-cible.  
  •  Le « mais vous êtes libre » : rajouter cette simple phrase à la fin d’une demande conduit à donner à l’individu l’illusion qu’il est libre de choisir, ce qui le renforce dans l’idée que ce choix est bien le sien ce qui augmente les chances de le voir accéder à la requête.

 

SOURCES

  • Beauvois, J.-L. Joule, R.-V. (1981). Soumission et idéologie. Psychosociologie de la rationalisation. Paris : Presses Universitaires de France.
  • Cialdini, R. (1990). Influence et manipulation, édition FIRST.
  • Joule, R.V., Beauvois, J.-L. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
  • Joule, R.V., Beauvois, J.-L. (1998). La soumission librement consentie. Paris : Presses Universitaires de France.
  • Kiesler, C.A. (1971). The Psychology of Commitment, Academic Press, New York.
  • Moscovici, S. (1994). Psychologie sociale des relations à autrui. Paris : Nathan Université.
  • Mugny, G., Oberlé, D. Beauvois, J.-L. (1995). Relations humaines, groupes et influence sociale. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
  • Staw, B.M. (1976). Intrinsic and Extrinsic Motivation. General Learning Press, New York.

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