Comprendre nos comportements face aux situations de crise: le cas du coronavirus

Face aux situations de crise (attaques terroristes, catastrophes naturelles, épidémies…), nos réactions et celles des aputres peuvent nous apparaître irrationnelles, incompréhensibles voire choquantes.

Le coronavirus COVID-19 vient bouleverser nos vies dans notre quotidien. Il engendre des réactions qui peuvent aller de la peur panique (« C’est la fin du monde! Achetons des pâtes et du papier toilettes ») au déni et à la minimisation des risques (« Arrêtons d’être paranoïaque, allons boire l’apéro »).

Afin de mieux comprendre nos propres émotions et comportements, mais également afin de mieux comprendre les réactions des autres, voici un décryptage des processus individuels et collectifs à l’oeuvre face au Coronavirus. Comprendre nos réactions face à ce virus permet de mieux accepter et gérer nos propres émotions.

Ces processus psychologiques et psychosociologiques, détaillés dans cet article, sont résumés dans le graphique suivant :

Les réactions face au coronavirus (Carine Pianelli, Effets papillon)

Des pistes d’action et de réflexion permettant de mieux vivre les changements imposés par le coronavirus et le confinement sont présentées à la fin de chaque partie et dans la partie 10 « Les stratégies pour faire face au coronavirus ».

Cet article sera amené à évoluer et à être actualisé dans les jours à venir.

1. L’incertitude et les rumeurs

L’incertitude nourrit la peur. Nous avons tous besoin de maîtriser notre avenir, or l’inconnu que représente et génère le coronavirus provoque beaucoup d’anxiété.

Le coronavirus perturbe nos plans, nos habitudes, notre vision de la vie et nos prédictions de l’avenir. Il perturbe nos repères et rend l’avenir incertain.

Par ailleurs, le coronavirus est peu connu. L’incertitude scientifique et le manque d’informations dont nous disposons à son sujet nourrissent notre peur et nous pousse à nous informer, parfois à partir de sources peu fiables ou fausses.

L’incertitude provoque l’apparition des rumeurs, des fake news et des théories farfelues, tant sur l’origine du virus que sur les moyens de prévention: c’est une façon de réduire l’incertitude par l’apport d’informations, même erronées.

C’est la raison pour laquelle les rumeurs se répandent habituellement en l’absence de repères fiables et notamment dans un contexte de crise (Rouquette, 2013).

L’apparition du coronavirus génère d’autres formes d’incertitudes, notamment liées au confinement. Ce confinement génère une perte de repères, une perte de liberté, de l’isolement, des inquiétudes financières

Ces incertitudes augmentent notre besoin de contrôle, parfois par des comportements exagérés d’achats (le fameux papier toilette…). Ces possessions matérielles nous rassurent.

Conseils : Face à toutes ces incertitudes particulièrement liées à l’avenir, essayons d’accepter de vivre dans l’instant présent, d’accepter que cette situation d’incertitude risque de durer plusieurs semaines mais qu’elle prendra fin dans quelques semaines. Essayons de ne pas nous projeter dans des scénarios catastrophes et essayons de lâcher prise du futur.

2. L’ancrage et les représentations

L’ancrage est le processus qui permet de rendre familier et intelligible ce qui est méconnu et étranger (Moscovici, 1961).

Le phénomène d’ancrage : consiste à intégrer un nouvel objet dans un cadre de référence préexistant bien connu afin de l’interpréter et se l’approprier.

Un événement tel que l’apparition du Coronavirus va activer des représentations, des stéréotypes, des schémas légendaires chez chacun de nous afin que nous puissions nous approprier la nouveauté et réduire l’incertitude générée.  

Représentation sociale: système d’interprétation de la réalité qui permet à un individu ou à un groupe de comprendre la réalité à travers son propre système de références pour s’y adapter. Nos représentations orientent nos comportements (Abric, 1994).

Ainsi, lorsque nous comparons le coronavirus à la grippe, cela nous permet d’assimiler et de comprendre ce virus et de nous rassurer. Mais cet ancrage peut aussi nous conduire à minimiser son niveau de dangerosité.

À l’inverse, lorsque ce virus éveille en nous des images apocalyptiques nourries par les médias, les films ou les précédentes épidémies (peste, choléra…), il génère beaucoup d’anxiété et le risque semble très élevé: nous surestimons alors son niveau de dangerosité ce qui génère des angoisses.

Conseils : Accepter que ce virus soit « unique en son genre ». Il faut s’en prévenir, participer collectivement à l’arrêt de sa propagation par le confinement sans basculer dans la psychose ou le dénigrement des mesures préventives.

3. L’attribution causale et les stéréotypes

Nous avons tous besoins de sens et de cohérence. Nous recherchons en permanence des explications aux événements qui ont lieu dans notre environnement, nous en recherchons le sens et la logique.

L’attribution causale : consiste à expliquer et identifier les causes responsables des événements ou des comportements, des autres et de nous-même, afin de mieux comprendre et prédire notre environnement.

La nature des causes d’un événement est définie par plusieurs dimensions telles que l’internalité, la stabilité ou la contrôlabilité de l’événement.

L’apparition et la propagation du coronavirus apparaissent comme des événements non contrôlables ce qui génère beaucoup d’incertitudes et d’angoisses.

Ce virus est vraisemblablement d’origine non humaine et non intentionnelle, c’est un aléa de la nature qui était difficilement prévisible et qui est difficilement contrôlable, or le hasard est angoissant.

Expliquer cet événement par des explications contrôlables et internes permet de redonner une forme de contrôle, d’où l’apparition sur les réseaux sociaux d’hypothèses et de rumeurs permettant d’expliquer différemment l’apparition du virus.

Exemples : le virus a été transmis volontaire par une nation, il a été créé en laboratoire, c’est une vengeance de la nature envers l’Homme pour ses atteintes à la biodiversité, c’est un châtiment de Dieu qui préserve les enfants…

Chercher un responsable à l’épidémie permet de comprendre l’événement et de se rassurer, mais cela peut conduire à l’émergence de préjugés et de stéréotypes. 

Stéréotypes: représentations et croyances partagées par l’ensemble des membres d’un groupe à l’égard des membres d’un autre groupe (traits de personnalité, comportements…).

Exemple : peur et évitement des personnes asiatiques à l’origine du mouvement #JeNeSuisPasUnVirus.

Les stéréotypes permettent aux individus de trouver un responsable à une situation, un coupable physiquement identifiable dont nous pouvons nous protéger, contrairement au virus.

D’après Pacotte et al. (2013), les épidémies ont longtemps été ouvertement considérées comme un fléau divin, une sanction prise contre l’homme pour le punir de ses fautes et de ses excès. Cette conception de la maladie-punition relève directement d’un processus de théorisation naïve, elle permet de donner un sens à l’épidémie et de nous redonner une part de responsabilité, donc une forme de contrôle sur la situation. Cette conception permet de réduire le sentiment d’impuissance ressenti.

Cette explication de l’épidémie repose également sur un autre biais cognitif: la croyance en un monde juste qui est la tendance à penser que l’on obtient ce que l’on mérite (« la vertu est récompensée, le vice est puni »).

Conseils : certaines explications données à l’apparition de l’épidémie peuvent être anxiogènes voire culpabilisantes. Il faut accepter de ne pas avoir d’explication sur tout (voir l’article sur le lâcher prise).

4. Le sentiment d’impuissance

La perte de contrôle sur les événements génère une perte des repères, des inquiétudes face à l’avenir et un sentiment d’impuissance qui peuvent générer de la colère. Cette colère provient de la frustration ressentie face à l’insatisfaction de nos besoins.

Le coronavirus nous place dans une situation qui combine les 8 facteurs de déstabilisation identifiés par Pacotte, Délouvée et Rateau pour définir une crise (2013, d’après Robert, 2007): la surprise, l’importance des enjeux, des phénomènes de saturation, la désorganisation des réseaux, de nombreuses incertitudes, des peurs paralysantes, la pression de l’urgence et la médiatisation.

Le fait que le coronavirus soit d’origine non humaine et non intentionnelle amplifie le sentiment qu’on ne peut agir et que nous sommes vulnérables. Or, rien n’est plus terrifiant que le sentiment de ne pas avoir de prise sur ce qui nous arrive (Rateau, 2020).

Le sentiment d’impuissance augmente notre besoin de contrôle d’où l’apparition de comportements étonnants qui viennent nous rassurer par le sentiment de contrôle qu’ils génèrent.

La distorsion entre les enjeux de cette pandémie et les moyens dont nous disposons génère un stress important et parfois une crispation sur des réponses inadaptées mais qui nous procurent un sentiment de contrôle (Pacotte et al., 2013).C

Conseils : de nouveau, il faudrait idéalement accepter que nous sommes face à une situation que nous ne maîtrisons pas. Évitons de nous épuiser dans des comportements préventifs qui deviennent parfois extrêmes. Notre seule action possible pour le moment est de contribuer à limiter la propagation du virus en restant chez nous et en réduisant nos interactions sociales.

5. Le déni

Le déni est un mécanisme de défense : c’est le refus de croire une information. C’est refuser de reconnaître certains aspects douloureux de la réalité afin de s’en protéger.

Le déni fait partie des étapes du deuil, étapes par lesquels nous passons tous lors d’un changement soudain et d’une perte. Le « deuil » consiste à accepter le changement, or le déni est justement le refus de l’existence du changement.

Le déni peut constituer une phase très courte pour l’individu. Il peut être adaptatif dans les situations de stress intense ou dans les traumatismes majeurs. Toutefois, certaines personnes peuvent s’enfermer dans cet état de déni qui sert de refuge et de protection.

Mécanismes de défense: processus mentaux automatiques qui s’activent en dehors du contrôle de la volonté et dont l’action demeure inconsciente.

Face au coronavirus, le déni nous permet de nous protéger des émotions et pensées trop difficiles à supporter: la peur, l’incertitude, le sentiment d’impuissance… (réactions « normales » qui sont justement listées dans cet article).

Le déni permet de mieux comprendre le comportement de certains français qui poursuivent leurs activités « comme si de rien n’était » sans respecter les mesures de confinement ou de « distanciation sociale ». Ces individus refusent peut-être de donner de l’importance au coronavirus en adoptant ces comportements.

Conseils : Les mesures prises par l’État pour limiter la propagation du virus (confinement, interdiction de rassemblements, fermeture des écoles, etc…) ont également pour fonction de nous sortir du déni de la gravité du virus. Respecter ces mesures permet de nous faire accepter progressivement une situation qui va à l’encontre de notre mode de vie habituel. Il faut se rassurer en se disant que ce n’est que temporaire.

6. L’optimisme comparatif

L’optimisme comparatif consiste à se considérer comme étant moins exposé(e) à un événement négatif que d’autres personnes (surestimation de la contrôlabilité de l’événement).

« L’optimisme comparatif » est le terme employé pour expliquer notre tendance à croire que nous avons plus de chance que les autres de vivre des événements heureux et moins de risque de vivre des événements malheureux (Weinstein, 1980).

L’optimisme comparatif est un déterminant du bien-être car il nous permet de ne pas nous focaliser sur les événements négatifs qui peuvent nous arriver en nous permettant de minimiser, voire d’oublier, leur probabilité d’apparition.

L’optimisme comparatif explique le décalage qui existe entre la connaissance que nous avons des risques encourus et les comportements dangereux que nous persistons à adopter malgré ces risques (Kouabénan et al, 2007).

Face au coronavirus, l’optimisme comparatif permet d’expliquer le comportement de certains français qui poursuivent leurs activités sans respecter les mesures de confinement ou de « distanciation sociale ». Ces individus sous-estiment peut-être leur risque de contracter le coronavirus.

L’optimisme comparatif nous permet de surestimer le contrôle que nous avons des événements, particulièrement en ce qui concerne notre santé. La pandémie de coronavirus qui touche l’ensemble de l’espèce humaine sans distinction nous oblige à sortir de notre illusion de toute puissance face à la maladie. Le coronavirus nous fait peur car il nous rappelle les limites de tout être humain, les nôtres comme celles de nos proches. Nous ne sommes pas invulnérables. Ce sentiment peut générer du stress et de l’anxiété.

Conseils : Même si le risque existe, l’Organisation Mondiale de la Santé indique que « pour la plupart des gens, à la plupart des endroits, le risque de contracter la COVID-19 reste faible ». Ce virus est généralement bénin mais 1 malade sur 5 doit être hospitalisé. Il s’agit donc de prévenir le risque tout en apaisant « son inquiétude en prenant des mesures pour se protéger et protéger ses proches et son entourage », notamment en suivant « les conseils des autorités sanitaires locales en ce qui concerne les restrictions aux voyages, aux déplacements et aux rassemblements ».

7. La satisfaction de nos besoins fondamentaux

Le coronavirus génère en nous de la peur et de l’anxiété face aux risques pour notre santé et celle de nos proches.

Stocker des pâtes et du papier toilette, acheter des masques ou du gel hydroalcoolique en grande quantité peut paraître irrationnel, mais répond en réalité à une logique: le besoin de satisfaire nos besoins primaires fondamentaux physiologiques et de sécurité (Mouillot, 2020, d’après Maslow, 1943).

D’après Mouillot (2020), le Coronavirus Covid-19 réhabilite ainsi la pyramide des besoins de Maslow, parfois considérée comme un modèle obsolète notamment par son séquençage, en replaçant les besoins physiologiques et de sécurité à la base même de la hiérarchie de nos besoins.

La pyramide des besoins d’après Maslow (1943)

Avec l’apparition du coronavirus, rien d’autre ne compte que de survivre en assurant nos fonctions vitales: manger, aller aux toilettes, rester en bonne santé. Ainsi les denrées alimentaires et d’hygiène sont redevenues notre priorité.

Par ailleurs, se centrer sur des choses matérielles, sur des possessions physiques palpables, permet également de générer en nous une forme de sécurité et de contrôle de la situation par la possession de ces biens.

Pour Mouillot, le besoin d’appartenance conforterait sa troisième place dans la hiérarchie de nos besoins: une fois la survie et la sécurité assurées, nous avons besoin de maintenir nos relations avec nos proches. C’est ce qui explique l’apparition des apéritifs en visioconférence grâce aux réseaux sociaux.

Les besoins de reconnaissance et d’accomplissement personnel ne constitueraient clairement pas une priorité pour nous dans l’immédiat (niveaux 4 et 5).

Conseils: la situation nous impose de répondre à nos besoins physiologiques et de sécurité. Toutefois, une fois ces besoins satisfaits, il est nécessaire pour notre bien-être psychologique de nous décentrer de ces besoins en accordant de nouveau de l’importance aux besoins secondaires. Exemples: soutien social via les réseaux sociaux et le téléphone, épanouissement personnel par des activités ludiques ou créatives etc… Des activités sont proposées dans la partie 10 de cet article.

8. La réactance et le phénomène de rareté

Le coronavirus vient bouleverser notre vie quotidienne sur une période ponctuelle, pour quelques semaines. La vie telle que nous la connaissions jusqu’à présent s’est interrompue, le temps s’est suspendu: le confinement bouleverse notre routine de vie et nos habitudes.

Le confinement génère une incapacité à mener à bien nos objectifs, nos projets, nos fonctions tel que nous le voudrions ou tel que nous le faisions jusqu’à présent.  

Ce confinement nous expose à de nombreuses frustrations, essentiellement liées à l’insécurité ressentie et à la restriction à nos libertés: sortir, voir notre famille, partager un moment convivial entre amis, travailler sont des comportements « interdits » par l’Etat pour limiter la propagation du virus (« Tout ce qui peut paraître anodin en temps normal est interdit« , Christophe Castaner le mardi 17 mars 2020).

Nous ne sommes pas habitués à être frustré(e)s pour ces activités qui constituent notre vie quotidienne. 

Le coronavirus impacte directement notre capacité et notre liberté d’action pour plusieurs semaines. Cette restriction à nos libertés peut activer en nous le phénomène de « réactance ».

Réactance: c’est le désir de combattre les restrictions à nos libertés. La réactance est une sorte de rébellion contre toute atteinte à notre liberté d’action qui est fondée sur le désir de préserver nos privilèges (Brehm, 1966).

La restriction à nos libertés provoque des sensations de perte de contrôle qui peut engendrer de l’hostilité envers l’entité identifiée comme responsable de cette restriction de liberté (exemples: colère envers l’état, les laboratoires de recherche, les médias…).

Un individu dont la liberté personnelle est réduite, supprimée ou menacée, aspirera à la rétablir.

La motivation à rétablir sa liberté a deux effets principaux :

  • Elle peut pousser l’individu à se comporter à l’opposé de l’objet de la contrainte: opposition, résistance en continuant à se balader dans les rues
  • Elle rend plus attractif l’activité ou l’objet par rapport auquel la liberté est menacée: c’est le phénomène de rareté. Par exemple, nous achetons du papier toilette de peur d’en manquer et d’en être privé.

Ainsi, face au coronavirus, le phénomène de réactance permet d’expliquer le comportement de certains français qui ne respectent pas les demandes et mesures prises par l’Etat (respect de la distanciation sociale, confinement…). Cette indiscipline peut reposer sur le phénomène de réactance: le non-respect des mesures vient redonner un sentiment de liberté et de contrôle de la situation.

Par ailleurs, la réactance et le principe de rareté permettent d’expliquer les comportements d’achats compulsifs et exagérés en période de crise.

Principe de rareté : Une chose qui par elle-même n’est pas attirante devient beaucoup plus attrayante simplement parce qu’elle n’est bientôt plus disponible (Cialdini, 1990).

Lorsqu’un qu’un objet quelconque se raréfie ou que quelque chose nous empêche de l’obtenir, nous réagissons contre ces forces contraires en désirant et en recherchant davantage cet objet pour retrouver notre liberté d’action.

Conseils : accepter cette perte de liberté d’action car elle n’est que transitoire et en profiter pour faire les choses que nous n’avons jamais le temps de faire habituellement (bricoler, ranger, lire, créer, jouer… voir la partie 10 de cet article). C’est une façon de retrouver un sentiment de liberté d’action pour des activités pour lesquelles nous disposons rarement de temps dans notre quotidien.

9. La névrose médiatique et la contagion émotionnelle

Les nouvelles technologies nous permettent de vivre en direct les grands événements et les grandes émotions de ce monde. Toutefois, l’excès d’informations peut nous plonger dans de véritables angoisses (Lejoyeux, 2006).

Ces angoisses sont sans cesse éveillées et alimentées par la multiplication des sources d’informations de notre quotidien: actualités sur les smartphones, journaux, chaines d’information, journaux télévisés, réseaux sociaux.

Pour Michel Lejoyeux (2006), le besoin de suivre l’actualité peut tourner à l’obsession et mener à la névrose : hypocondrie médiatique, boulimie d’informations, angoisse, dépendance…

Le visionnage de vidéos d’actualités généralement négatives provoque une “sur-émotionnalité” (colère, peur, tristesse…) qui se répand dans la population. Les médias participent ainsi à une contagion émotionnelle négative (Haag, interviewé par Sander, 2019).

La contagion émotionnelle serait un transfert d’émotions d’un individu à l’autre, une sorte d’onde qui peut, de proche en proche, toucher l’humanité entière (Haag, interviewé par Sander, 2019).

Les réseaux sociaux contribuent à cette contagion émotionnelle par la multitude d’individus avec lesquels nous échangeons, la multitude d’émotions que nous partageons au quotidien (notamment par les émoticones) et le partage d’informations (vidéos, articles, photos).

La couverture médiatique accordée à l’épidémie de coronavirus participe à la diffusion de la peur, notamment en nous abreuvant « d’images de rayons vides, de gens masqués, de villes mortes, ce qui a pour effet d’alimenter la peur » (Rateau, 2020).

Conseils : pour sortir de la névrose médiatique et de la contagion émotionnelle négative, il s’agit de se déconnecter d’Internet de temps en temps (chaines d’informations, sites d’informations, réseaux sociaux). Il est évidement nécessaire de se tenir informé(e)s de la situation et de rester en contact avec nos proches, mais pas forcément de manière continue ni en alimentant nos peurs.

10. Les stratégies pour faire face au coronavirus

Afin de mieux gérer cette période, voici des pistes d’action et de réflexion afin de mieux vivre les changements imposés par le coronavirus et le confinement. Elles sont présentées dans le graphique suivant:

1. Lâcher prise du futur

Face à toutes nos incertitudes liées à l’avenir, essayons d’accepter de vivre dans l’instant présent et de lâcher prise du futur (voir l’article sur le Lâcher prise).

Pour développer un état de pleine conscience (ou mindfulness) nous pouvons pratiquer la sophrologie, la méditation… Les vidéos et les applications sont nombreuses sur Internet. Ces techniques sont très utiles pour réduire les symptômes du stress aigu (anxiété, angoisse, insomnies).

Pour aller mieux au quotidien, il faudrait accepter que cette situation d’incertitude et de contraintes risque de durer plusieurs semaines mais qu’elle prendra fin dans quelques semaines. L’acceptation de la situation est fondamentale pour vivre sereinement cette période. Pour cela, il faut renoncer un temps à notre vie habituelle et « faire avec » les possibilités qui s’offrent toujours à nous (voir les étapes du deuil).

L’acceptation est une étape fondamentale pour favoriser notre résilence, c’est à dire notre capacité à récupérer et à retrouver notre niveau de bien-être pré-crise.

Résilience : capacité pour un individu à faire face à une situation difficile ou génératrice de stress.

2. Utiliser son temps

Bien que plusieurs de nos activités soient interdites, ce confinement et ce chômage partiel nous libère un temps considérable pour la plupart d’entre nous.

Plutôt que de focaliser sur les activités que nous ne pouvons plus faire pour le moment (il faut lâcher prise!), profitons-en pour faire les choses que nous n’avons jamais le temps de faire habituellement (bricoler, ranger, lire, créer, jouer…). C’est une façon de retrouver un sentiment de liberté d’action pour des activités pour lesquelles nous disposons rarement de temps dans notre quotidien.

Profitons de ce temps qui nous est offert et qui est une richesse précieuse et désirée en temps « normal ». N’attendons pas de ne plus avoir de temps pour l’apprécier (principe de rareté vu précédemment).

Par ailleurs, la distraction et la créativité permettent de nous décentrer de nous-même et donc de nos angoisses.

En effet, pour notre bien-être psychologique, il est nécessaire de nous décentrer des besoins primaires (besoin de sécurité et physiologiques) en accordant de nouveau de l’importance aux besoins secondaires. Il est donc nécessaire d’occuper notre esprit avec d’autres activités, notamment en stimulant notre cerveau par des activités ludiques ou créatives (favorisent l’épanouissement personnel) et en maintenant de bonnes relations sociales.

Des propositions d’activités bien-être, adaptées au confinement, vous sont proposées ci-dessous:

3. Maintenir le lien avec les autres

Le partage social permet de favoriser le sentiment d’intégration sociale et d’appartenance sociale ce qui génère une humeur positive et renforce la confiance en soi (3ème besoin dans la pyramide de Maslow).

Pour Bernard Rimé (2005), il est fondamental d’être créatifs et d’inventer de nouvelles formes de relations et de contact. Il faudrait « chanter, crier et danser ensemble malgré la distance physique ».

Ces derniers jours, on observe justement, en Italie comme en France,
un essor d’organisations d’événements collectifs aux balcons et aux fenêtres, largement relayés par les médias: musique en live, DJ, chants, apéros-fenêtre, sports collectifs chacun sur son balcon…).

De même, on assiste à des communications et événements collectifs en famille ou entre amis via les réseaux sociaux: apéros virtuels, challenges créatifs…

Ces événements témoignent du besoin et de la nécessité de « rester en contact » malgré l’absence de contacts physiques.

4. Développer la solidarité et l’entraide

Depuis l’annonce du confinement, plusieurs initiatives de solidarité collectives ou individuelles ont vu le jour afin de supporter cette crise sanitaire: garde d’enfants, dons de denrées alimentaires, livraisons gratuites pour les personnes âgées, partage de cours et d’astuces pour les enfants, cours de sport gratuits en vidéo, lives musicaux, don de fleurs, solidarité entre pays, création de masques en tissus gratuitement…

L’altruisme est un mécanisme de défense classé parmi les défenses matures, c’est à dire qu’il permettrait d’assurer une adaptation optimale aux facteurs de stress (niveau adaptatif élevé).

L’altruisme: consiste à répondre aux conflits et aux situations de stress par le dévouement envers les autres. L’individu reçoit des gratifications par la réponse des autres et par le sentiment d’utilité généré.

L’altruisme a un effet bénéfique car il nous permet de nous décentrer de nos propres besoins.

Les autres défenses matures seraient notamment:

  • L’humour (voir partie 5 ci-dessous)
  • La sublimation qui consiste à transformer une énergie négative en une force créative (créations littéraires, artistiques, intellectuelles; voir les conseils d’activités ci-dessus)
  • L’affiliation qui consiste à rechercher l’aide et le soutien d’autrui (voir la partie 3 ci-dessus)

La gratitude serait également un déterminant du bien-être d’après la psychologie positive. Le sentiment de gratitude rendrait plus heureux et procurait un sentiment de bien-être durable dans le temps.

Exemple : Les applaudissements pour le personnel soignant chaque soir à 20 heures depuis nos fenêtres est une manifestation forte de notre gratitude envers leur altruisme.

L’expression collective de notre gratitude renforce notre sentiment de cohésion et d’unité face à l’épreuve. Cela renforce notre sentiment d’appartenance et nous fait sortir de notre isolement et de notre solitude: nous ne traversons pas tout seul cette situation.

Ainsi, la gratitude, la solidarité et l’altruisme pourraient contribuer à développer une forme de résilience collective.  

Résilience collective: capacité d’une communauté de continuer à vivre, fonctionner, se développer et s’épanouir après un traumatisme ou une catastrophe.

5. Choisir l’humour

L’humour est un mécanisme de défense mature mis en place de manière inconsciente chez beaucoup d’entre nous, mais il peut aussi devenir une stratégie volontaire d’ajustement pour faire face à une situation de stress afin de nous aider à relativiser: on parle de stratégie de coping (voir l’article: Faire face au stress: les stratégies de coping).

L’humour : consiste à souligner les aspects amusants ou ironiques des situations de stress. L’humour s’oppose à l’ironie et au sarcasme qui s’exercent aux dépens des autres (Chabrol, 2005).

Freud considérait l’humour « comme la plus haute des réalisations de défense ».

Face à cette situation de crise, l’humour peut nous permettre d’apporter un nouvel éclairage à la perception de la situation et de nous libérer physiquement des tensions générées par le stress (Bouquet et Riffault, 2010).

Exemples: la multitude d’images et de vidéos pleine d’humour sur les réseaux sociaux illustre bien notre besoin de « rire » de cette situation pour la dédramatiser et se l’approprier plus facilement, notamment en ce qui concerne le confinement. 

6. Prendre soin de son corps

Maintenir un bon état de santé nous permet de maintenir une bonne santé mentale.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise qu’en cas de confinement, il faudrait « essayer de maintenir une routine proche de la routine habituelle » (Roche, 2020).

Ainsi, pour prendre soin de son corps, il faudrait:

  • Maintenir un rythme quotidien pour ne pas dérégler notre horloge biologique: mettre un réveil le matin, s’habiller, s’apprêter, s’activer et manger à heures fixes, ne pas se coucher « tard », planifier ses activités de sa journée ou de sa semaine.
  • Maintenir une alimentation équilibrée pour éviter le grignotage (voir l’article sur L’alimentation intuitive)
  • Eviter les excès en alcool et/ou cigarettes qui peuvent fatiguer notre corps (voir les articles sur les Addictions et le coping)
  • Maintenir une activité physique
  • S’exposer à la lumière du soleil autant que possible

7. Se préserver de la névrose médiatique

L’OMS conseille de minimiser le temps passé à regarder, lire ou écouter les informations car connaître les faits peut aider à réduire la peur mais un flot continu d’informations peut « angoisser n’importe qui » (Roche, 2020).

Réduire notre temps passé à consulter les sites et chaines d’informations permet d’éviter de nous projeter dans des scénario catastrophes accentués et alimentés par la surinformation.

Il serait préférable de limiter notre actualisation des informations à un ou deux moments dédiés dans la journée et idéalement sur les sites officiels des autorités nationales. Ceci nous permettrait de nous préserver des rumeurs et de nous concentrer sur le factuel sans être submergés (Roche, 2020).

Enfin, éviter de relayer toutes les nouvelles alarmistes permet de limiter la contagion émotionnelle négative. Mieux vaut relayer les informations positives qui nous permettent de nourrir notre espoir et notre optimisme plutôt que nos angoisses. Privilégions la contagion émotionnelle positive!

8. Envisager les changements positifs à venir: la croissance post-traumatique

Cette crise sociale, sanitaire et économique déconstruit nos croyances fondamentales et nous place parfois dans une détresse émotionnelle, mais nous pouvons en sortir grandi(e)s, notamment en reconstruisant notre monde intérieur et notre environnement avec de nouvelles perspectives.

De nombreux travaux en psychologie ont montré que des évènements de vie grave pouvaient entraîner des changements psychologiques positifs: c’est ce que l’on appelle la croissance post-traumatique (Posttraumatic Growth, PTG; Tedeschi & Calhoun 1995).

Croissance post-traumatique: expérience des individus dont le développement a surpassé ce qu’ils étaient avant une phase de crise dans des domaines aussi variés que l’appréciation de la vie, l’intimité, la spiritualité ou le changement de valeurs (Kretsch et al., 2011).

La pandémie de coronavirus peut générer en nous de véritables changements intérieurs majeurs et positifs par la remise en question de nos croyances fondamentales, de nos représentations et de nos habitudes de vie qu’elle nous impose.

Plusieurs dimensions peuvent être impactées par ces changements positifs:

  • Changements identitaires: modification de la vision de nous-mêmes, sens renforcé de notre propre résilience, développement de notre force…
  • Changements de notre vision de la vie: transformations de nos valeurs et de nos priorités…
  • Changements dans nos relations sociales: les situations de crise tendent à nous relier davantage à ceux qui nous entourent (ouverture aux autres, compassion envers autrui, renforcement de nos relations, augmentation du temps passé avec nos proches..).
  • Changements dans nos modes de vie: ouverture et connexion à l’humanité qui peut nous rendre plus attentif et généreux envers les autres et notre planète (nouvelle conception du monde, changement dans notre rapport au travail, modification de nos consommations, amélioration de notre hygiène de vie…)

La croissance post-traumatique est un processus individuel, mais c’est un phénomène qui peut devenir national voire mondial.

Le coronavirus place la France dans une crise à la fois sanitaire et économique. Le confinement va probablement conduire à une récession (recul de la croissance), notamment par la diminution de l’activité des entreprises (fermeture, baisse/arrêt de la production) et des ménages (diminution du pouvoir d’achats, chute de la consommation).

Pourtant cette crise économique pourrait nous permettre de repenser totalement notre modèle économique en y incluant l’urgence climatique d’après de nombreux économistes (Lang, Couppey-Soubeyran, cités par Lambert 2020).

Nous pouvons ainsi regarder cette période de crise comme une opportunité de repenser notre vie et de créer de nouvelles habitudes, aussi bien individuellement que collectivement.

effets-papillon.fr

Sources :

Abric, J-C. (1994). Pratiques sociales et représentations. Paris: PUF.

Abric, J-C. (1996). Psychologie de la communication. Paris. Armand Colin.

B. C. (2020). Coronavirus : L’astronaute Thomas Pesquet vous donne deux-trois astuces sur le confinement, article publié sur le site 20minutes.fr le 17 mars 2020.

Bouquet, B., Riffault, J. (2010). L’humour dans les diverses formes du rireVie sociale, 2(2), 13-22. 

Cialdini, R. (1990). Influence et manipulation, édition FIRST.

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14 thoughts on “Comprendre nos comportements face aux situations de crise: le cas du coronavirus”

  1. Tres beau travail Carine ! 👍👏👏👏
    Merci bcp .
    J’espère aussi que cela va nous pousser à réfléchir sur notre monde de vie ( consommation à outrance , capitalisme sans cœur, égoïsme justifié , pollution incontrôlée….etcétéra) .
    🤞🤞🤞

  2. Juste une remarque d’orthographe 🙂
    L’adverbe HORS qui est utilisé dans l’article devrait être écrit OR : en effet, HORS appartient à la locution adverbiale « hors de » ( je suis hors de moi / il marche hors de la maison ). OR, lui, marque la nuance d’opposition qui était recherchée à plusieurs endroits dans l’article.

    Merci de cet article très pédagogique.
    Bien cordialement

    1. Thank you Conny! So nice to have a message from you after so many years. Best wishes in this moment for you and your family

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